Après une longue hésitation, des amis m’ont convaincu de publier mes carnets de voyage. C’est donc ici qu’ils prendront place, au moins ce blog servira à quelque chose ! Ces carnets sont issus des notes que je prends presque quotidiennement en voyage (souvent dans les transports) et relatent les expériences heureuses ou malheureuses, les moments partagés avec les rencontres de passages, les visites etc. C’est ainsi l’occasion pour vous de découvrir ce qui se cache derrière les beaux clichés que je peux ramener. La réalité est souvent plus dure ! Je m’attarde souvent à décrire et raconter l’histoire des lieux et villes que je traverse ainsi que la personnalité des personnes que je rencontre et la vie quotidienne du backpacker.

Que ces récits servent d'expériences à tous les voyageurs itinérants comme moi qui aiment parcourir le monde.

7.9.10

Les conséquences de l'urbanisation à Hà Nội

La ville a de tout temps opposé le monde rural que ce soit en termes d’apport économique ou de mode de vie. L’intense développement urbain qui s’est opéré depuis le 20ème siècle a engendrée une forte concurrence entre ces espaces, et toujours en défaveur des activités agricoles. Cette situation est aujourd’hui particulièrement prégnante dans les métropoles des pays en développement où le développement urbain tentaculaire met en péril les activités traditionnelles.

Le delta du Tonkin dans le Nord du Viêtnam est, avec d’autres vallées fertiles (Nil, Mékong etc.), une des régions où la mise en valeur agricole a été intense. En résulte des densités de population records : plus de 400 habitants par km² dans le delta voir jusqu’à 1000 habitants par km² près des rives du Fleuve Rouge (1). Cet équilibre entre main d’œuvre et production agricole permis par la culture du riz est aujourd’hui menacé par l’extension urbaine de Hanoï. En effet l’ouverture du pays a donné une soudaine fièvre aux investisseurs et promoteurs ce qui fait pression sur les espaces périurbains.


Diversité des usages du sol dans la banlieue sud de Hanoï, Jousseaume, Juin 2010



Le projet Seek East Asian Rural Urban Synergy (SEARUSYN) en collaboration avec l’université de Wageningen propose une intéressante étude sur les conséquences de l’extension urbaine hanoïenne sur les activités agricoles (2). L’étude a été réalisée sur 2 districts périurbains de la région de Hanoï : Gia Lam et Long Bien.

Une urbanisation croissante impulsée par le développement des infrastructures
En tant que métropole (3 millions d’habitants) d’un pays en développement, Hanoï a un énorme besoin en infrastructure pour se moderniser. L’amélioration du réseau de communication (routier et ferroviaire) est cruciale pour éviter les encombrements et la saturation des routes. La motorisation des ménages engendre une circulation effroyable qu’il est encore très difficile de juguler. De plus le développement économique apporte son lot de zones industrielles qui vont bientôt encercler la ville. Des dizaines de projet sont en cours et ce n’est pas près de s’arrêter.
En conséquence l’urbanisation explose, principalement aux franges de la ville. De 1998 à 2003, 7000 ha de terres agricoles ont été urbanisées et la municipalité prévoit la disparition de 12 000 ha de terres agricoles d’ici à 2020 ! Les projets de développement urbain intègrent bien la protection d’une ceinture verte (Green Belt) autour de la ville, mais les activités agricoles ne semblent pas rentrer dans ce cadre … Quels sont donc les rôles et les compétences des autorités locales dans ces projets de planification ?

Gia Lam, un district périurbain en pleine évolution

Le district de Gia Lam divisé en deux administrations distinctes (Gia Lam et Long Biên) se situe à l’est de Hanoï par delà le fleuve Rouge. Sa proximité avec la ville a provoqué un intense développement résidentiel et industriel, réduisant considérablement les espaces agricoles. Le district de Long Biên a même le statut de district urbain. En peu de temps les infrastructures ont grandement évolué (construction de ponts, voies express etc.). Mais se développement n’est pas sans risque, la proximité du fleuve soumet cet espace aux crues annuelles durant la saison des pluies. Le maintien des pratiques agricoles est vital pour préserver et entretenir le dense réseau de canaux qui irriguent la plaine.

Les compétences des collectivités locales au Viêtnam
Comme en France, le Viêtnam possède une superposition de collectivités avec des compétences particulières. La région-capitale de Hanoï est subdivisé en 12 districts, eux-mêmes composés de plusieurs communes.
Pour les projets d’infrastructures publiques ou liés à la sécurité c’est le gouvernement ou la région d’Hanoï qui sont les décisionnaires. Les districts, communes et résidants n’ont aucun rôle.
Pour les projets privés (investisseurs, promoteurs etc.) la concertation se fait au niveau local et régional :
- Théoriquement les investisseurs doivent s’adresser aux districts qui travaillent avec les communes pour évaluer les besoins en foncier du projet. Après l’approbation du district, le projet est présenté aux différents services de la région de Hanoï. C’est finalement l’avis du service d’Aménagement et d’Investissement qui permet de lancer le projet.


- Dans les faits les investisseurs s’adressent tout d’abord au département d’Aménagement qui s’arrange avec les districts pour faire naître les projets. Par conséquent il y a très peu de refus.

- Pour les projets concernant la ville de Hanoï, la région-capitale a créé un comité d’aménagement étudiant l’évolution future de la ville (Board of Hanoï Capital Region Planning). Des représentants des 4 départements (service Aménagement et Investissement, service des Ressources naturels et de l’Environnement, service Architecture, et enfin service Génie Civil) participe à ce comité. Un plan global d’aménagement (masterplan) est établi en collaboration avec le Centre Régional d’Aménagement. Un projet d’aménagement doit avoir l’approbation de ces 4 instances pour être mis en œuvre.

Les conséquences de l’urbanisation sur le niveau de vie des agriculteurs
Face à la perte massive des terres allouées aux activités agricoles au profit de l’urbanisation, un très grand nombre d’agriculteurs ont été expulsés et se retrouvent aujourd’hui sans terre. On estime à 20 000 chaque année le nombre de « paysan sans terre » supplémentaire. Hanoï comptait 842 000 agriculteurs en 1995, ils n’étaient plus que 600 000 en 2003 !
Le plus dur pour ces foyers est donc de retrouver une activité rémunératrice. Les investisseurs sont normalement tenus de verser une compensation importante aux expropriés et de leur fournir un nouvel emploi. La municipalité s’engage également à proposer des formations professionnelles aux sans-emplois. Cependant l’argent reçu par les agriculteurs est rarement employé pour investir dans une nouvelle activité. Persuadé d’entré dans la modernité les expropriés se font construire des maisons onéreuses avec de nombreux équipements. Aucun support ou conseil ne les oriente sur ce qu’ils pourraient faire.
De plus les investisseurs hésitent à les employer dans leurs nouvelles usines car ils sont pour la plupart non-qualifiés. Les agriculteurs sont souvent prévenus a très court terme de leur expropriation, ce qui ne leur laisse pas de temps pour ce reconvertir. Les chômeurs se retrouvent en concurrence avec la masse de jeunes adultes arrivant sur le marché de l’emploi, ce qui rend la reconversion d’autant plus difficile.

Les conséquences sociales du recul massif de l’agriculture périurbaine sont importantes pour les ménages concernés. Le chômage apporte précarité et incertitudes souvent associé à la violence et la criminalité. La pauvreté concerne de très nombreux espaces périurbains. Les agriculteurs n’y possèdent plus de terre pour exercer leurs savoirs-faires et n’ont pas les qualifications nécessaires pour s’intégrer à cette nouvelle société en développement.

Quel rôle pour l’agriculture dans l’aménagement futur de la ville de Hanoï ?
Le plan global d’aménagement attribue des fonctions importantes à l’agriculture : elle doit fournir des vivres pour la ville et contribuer au marché de l’emploi dans les zones périurbaines. L’agriculture est également une ceinture qui doit faire rempart à l’urbanisation excessive, un espace privilégié pour développer l’écotourisme. Ces beaux projets ne semblent pas prêt de se réaliser ; le plan ne précise pas ce qu’il entend par « ceinture verte ». Il est probable que l’agriculture ne soit pas entièrement prise en compte. De plus les investissements attribués aux activités agricoles ne représentent que 3-4% du budget de la ville de Hanoï pour un espace considérable.

La concertation entre les acteurs des projets est indispensable pour améliorer les conditions d’installation des nouvelles implantations. Les services de la ville travaillent souvent chacun de leur côté sur un même projet ! Comment intégrer la diversité des problématiques et des enjeux (sociaux, environnementaux etc.) dans ces conditions ? Le conseil municipal souhaite également mieux informer les citoyens des projets et changement d’affectation du sol. Reste à trouver les outils de cette meilleur communication pour que les premiers concernés soit les mieux informés. L’amélioration des conditions de formations des expropriés est également un enjeu crucial pour ne pas exclure cette population de la société.
Malgré la masse de personnes travaillant dans le secteur agricole, cette activité ne génère que de faibles revenues en raison des conditions encore archaïques d’utilisation du sol. Les parcelles sont morcelées à l’extrême suite aux nombreuses successions d’exploitation. Par conséquent l’agriculture permet juste un approvisionnement local et ne permet pas d’être orienté vers l’exportation. Des réformes semblent nécessaires pour élever le profit des exploitants agricoles, cette activité pourrait prendre plus de place dans les décision d’aménagement et être mieux considéré parmi les corps décisionnaires.


(1) Lire GOUROU. P, Le Tonkin, Paris, Exposition coloniale internationale, 1931 et Les paysans du delta tonkinois, Paris, EFEO, 1936


(2) NGUYEN Vinh Quang, The impact of urbanisation on agriculture in Hanoï, SEARUSYN, Hanoï, Février 2005. Pour lire l’étude cliquez ici